Ce nouveau désordre mondial…
Publié version papier dans Services Publics, les nouvelles, 26 janvier 2025
La première partie des années vingt de ce XXI siècle parachève le processus d’éclatement du cadre de référence issu de l’écrasement du nazi-fascisme.
Des convulsions graves saisissent deux des trois organisations qui, à partir de 1945, ont structuré l’architecture de sécurité ou prétendue telle de la planète. Il s’agit, par ordre d’ancienneté, de l’Organisation des nations unies, l’ONU et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN.
Quant au dernier né, l « Traité d’amitié, de collaboration et d’assistance mutuelle » des pays du bloc de l’Est, le dit Pacte de Varsovie, il est mort et enterré.
Sa dissolution le 1er juillet 1991, suite à l’implosion de l’Union soviétique, marque le coup d’envoi du processus de dislocation de « l’ordre mondial » de l’après-guerre.
Née pour « keep the Russian out, the Americans in and the Germans down », l’OTAN va pour sa part survivre à la disparition de son concurrent et prétendre de régenter le monde.
Elle le fera en concurrence des fois, en subsidiarité d’autres -comme à l’occasion de l’expédition étasunienne au Koweït et en Irak exécutée sur mandat du Conseil de sécurité, en mars 1991-, avec l’ONU.
L’ONU humiliée
Entamée dès la fin de 1940 dans une ville de Londres que la Luftwaffe bombarde nuit après nuit depuis le 7 septembre, la construction de l’ONU se fera par l’adoption par cinquante pays de la Charte des Nations Unies le 24 juin 1945 et la création de l’Organisation des Nations Unies, quatre mois plus tard.
Conçue pour « prévenir et écarter les menaces à la paix » (art 1.1) et régler « les différends internationaux par des moyens pacifiques (2.3), la Charte établit en ce sens le « principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit de disposer d’eux-mêmes » (1.2).
Certes, les résolutions de l’ONU -et en particulier de son Assemblée générale- n’ont de loin pas toujours été appliquées, notamment les 103 concernant la Palestine. D’autre part, le recours des dits « deux grands », à savoir les USA et l’URSS, à 200 des 263 vétos prononcés dans son histoire, en a limité l’efficacité.
Toutefois, jusqu’au 23 février 2022, un semblant d’architecture de sécurité malgré les différentes interventions, au Vietnam comme en Afghanistan, était maintenu. L’agression de la Russie contre l’Ukraine marque un moment de rupture majeur.
Ce sont les deux premiers articles de la Charte fondamentale qu’un membre permanent du Conseil de sécurité viole de la sorte de manière ouverte : c’est la guerre contre un autre pays membre, dans le déni absolu du principe d’égalité.
Cette violation pleinement assumée par le nain du Kremlin n’a plus rien à voir avec les pseudo-justifications teintées d’humanitaire auxquelles Brejnev avait eu recours pour envahir l’Afghanistan ou aux supposés « appels à l’aide » censés légitimer en août 1968 l’intervention en Tchécoslovaquie.
Il s’agit d’un moment charnière dans la perte de crédibilité des Nations Unies auquel ont fait suite d’autres évènements survenus depuis, à l’automne 2024 et encore ces derniers jours.
Le 10 octobre 2024 la Force de défense israélienne l’IDF, armée d’un Etat fondé sur décision de l’ONU, attaque un camp de la FINUL, la Force d’interposition des Nations Unies au Liban. D’après les représentants de cette dernière, un épisode analogue se serait reproduit il y a quelques jours.
Décidément, née pour empêcher la guerre, l’Organisation des nations unies est bien en peine de faire respecter ses raisons d’être … par ses propres membres ! Tout au plus, ce sont ses agences -auxquelles on coupe volontiers une partie des vivres- qui subsistent.
D’aucunes, la FAO, l’UNESCO ont pour fonction d’éviter le pire dans des situations dramatiques ; d’autres assurent un fonctionnement régulier à l’image de l’Union internationale des télécommunications ou de l’Organisation météorologique mondiale tandis que d’autres encore, comme l’UNWRA, sont carrément condamnées à mort.
L’OTAN à un tournant
Au même titre que les deux agressions -de la Russie contre l’Ukraine et de IDF contre la FINUL- les déclarations récentes de Trump à propos du Groenland et dans une moindre mesure du Canada, représentent un tournant.
Après la disparition de l’URSS et du Pacte de Varsovie, l’OTAN avait connu une réorientation centrée sur la protection des voies approvisionnement existantes -et la possibilité d’en ouvrir d’autres- des grandes économies occidentales.
C’est en ce sens qu’est à comprendre son extension à l’Est, aux frontières de ce grand pourvoyeur de brut et surtout de gaz qu’est la Russie.
Le déploiement en Allemagne -décidé par Biden- de quelques 700 missiles pointés sur la Russie fait aussi partie de ce dispositif, tout comme la succession au cours de ces dernières années d’exercices conjoints en mer du Nord.
Plus qu’une menace contre la Russie, ces derniers visent surtout à préserver d’une possible mainmise russe les nouvelles voies qui pourraient s’ouvrir dans le Grand Nord avec le réchauffement climatique.
Or, l’administration Trump semblerait avoir opéré d’autres choix en la matière.
Menaces ouvertes
En un premier temps, Trump et Bannon, son idéologue, ont bruyamment vitupéré contre le coût pour les USA de la défense d’une Europe qui ne participerait pas suffisamment à son financement.
L’injonction faite aux pays de l’OTAN de porter leurs budgets militaires à 3, voire 5% de leur PIB, au-delà de la rhétorique sur « le partage du fardeau » est porteuse de juteux bénéfices pour l’industrie d’armement américaine, elle qui, avec 42% des parts du marché, se taille la part de lion dans le commerce mondial des armes.
Mais, la nouveauté dans les déclarations récentes, va bien au-delà de la dénonciation du « parasitisme » des Européens. En menaçant une action militaire contre le Groenland, c’est un pays membre de l’OTAN, le Danemark, auquel la grande île appartient, qu’il menace!
Pour la première fois depuis la création de l’Alliance atlantique, le 4 avril 1949, le suzerain s’en prend directement à un de ses vassaux, le menaçant d’une action militaire, sans exclure d’ailleurs le recours à ce moyen en ce qui concerne l’annexion revendiquée du Canada.
Voilà qui est nouveau !
Fanfaron ?
Mettre ces déclarations sur le plan de la fanfaronnade propre au personnage serait une erreur. Comme le seraient aussi les explications pseudo-sophistiquées selon lesquelles il ne s’agirait de d’une partie de poker menteur.
D’abord parce que les convoitises sur le Groenland et le Canada comportent la même obsession du contrôle sur les voies d’approvisionnement -la fonte des glaces au Nord en ouvrirait des nouvelles- qui préside aux exigences à propos de la reprise du Canal de Panamà par les marines.
Et elles sont à prendre au sérieux aussi parce que le Groenland, sous ses glaciers, recèle d’immenses réserves de terres rares sur lesquelles lorgnent les milliardaires de la Silicon Valley membres du gouvernement Trump, Musk en premier.
Enfin, de telles déclarations ne sont pas à prendre à la légère dans la mesure où elles brisent des tabous.
Elles s’élèvent -on y revient- contre le fait de « prendre des mesures pour prévenir et écarter les menaces à la paix » et de « développer entre les Nations des relations amicales fondées sur le respect […] de l’égalité des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » (art. 1.1 et 1.2 de la Charte fondamentale de l’ONU).
Les tabous que le concert des Nations avait érigé au prix de six ans de guerre et de dizaines de millions de victimes pour écraser le nazi-fascisme .
Et qu’il est indispensable de réaffirmer en redoublant d’énergie pour combattre les logiques de guerre.